Le grand style ?
« Que serait devenu Ulysse sans errance ? »
C.J. Jung, Le livre rouge
L’esprit humain grandit avec son corps. Pris au premier degré, c’est presque une banalité. Certains aussi argueront que c’est une évidence matérialiste : que sans corps il n’y a pas d’esprit ! Quoique scientifiquement acceptable, cette proposition tend à rendre triste celui ou celle qui lui donne de la force. Tout ne peut pas être réduit à la matière, d’ailleurs en rêve je peux violer tous les principes de la science sans que cela ne pose problème à l’extension de l’univers. Je reconnais néanmoins l’importance de la matière, celle qui constitue notre corps et qui nous permet par le truchement de nos sens de nous mettre en relation. « Tu commences à avoir l’intuition du Tout quand tu embrasses ton principe opposé. », disait aussi Jung. Nous sommes poussières d’étoiles et heureux de l’être.
Mais comment s’en rendre vraiment compte ? Il ne suffit pas d’identifier les contraires pour grandir en tant qu’homme, en tant que femme. Il faut en faire la difficile expérience. Voilà ce que souhaitait livrer comme enseignement le grand psychologue suisse : « Que serait devenu Ulysse sans errance ? » La vie facile mène trop souvent à la vie difficile. Les difficultés nous renforcent a contrario et mènent à une vie plus heureuse. Notez bien que je n’ai pas nécessairement dit : vie facile.
Ce qui ne me tue pas me rend plus fort, disait Nietzsche. On pourrait résumer toute sa pensée à cette seule maxime. Ce serait évidemment bien trop réduire l’œuvre géniale qu’il a livrer à la postérité, mais c’est probablement l’idée qui sous-tend toutes les autres : celle du grand style et celle de son surhomme et du bonheur qu’il trouve dans l’accomplissement de son existence. L’œuvre de Nietzsche est en ce sens une sotériologie, c’est-à-dire que sa pensée mène au salut… au bonheur, mais sur terre et de notre vivant. Sa pensée est grandiose. Son style particulier, ce qui ne la rend pas accessible à la première lecture. Mais aurait-il été en accord avec lui-même s’il nous avait livré une pensée que nous modernes appelons vulgarisée ?
Pour autant, je n’invite pas à rejeter les œuvres de vulgarisations. Elles nous permettent tous de faire nos premiers pas dans une discipline ardue. Elles permettent aussi de trouver les clés de lecture pour certains auteurs particulièrement difficiles à lire. J’avouerais que j’ai mis dix ans pour intérioriser la pensée de Nietzsche. Des auteurs comme Luc Ferry m’y ont aidé. J’ai découvert a posteriori que Fréderic Lenoir écrit particulièrement bien concernant Jung. J’aurais souhaité le découvrir avant, lorsque j’ai lu pour la première fois les œuvres jungiennes. J’ai aussi passé des heures à lire ses plus beaux ouvrages. J’y suis revenu aussi des années plus tard, riche d’autres expériences de vie pas nécessairement facile. Je me suis d’ailleurs perdu en chemin. Comme Ulysse, c’est une condition nécessaire pour se retrouver… s’individuer, comme l’aurait dit Jung.