Sujet à interprétation
Comme d’aucuns, je ne cherche pas dans les rêves le sens particulier des symboles qui m’ont été livrés pendant la nuit. Je reconnais qu’on peut, tout à fait personnellement, attacher un certain intérêt à ce que l’on appelle l’interprétation des rêves. Artémidore de Daldis, au IIe siècle de notre ère, a condensé dans deux traités qu’il a légués à la postérité une bonne partie du savoir antique concernant les rêves. Ce philosophe et écrivain a influencé de nombreuses traditions de l’interprétation des rêves. Nombre de clés des songes ne sont qu’un pastiche de son œuvre. Artémidore livrait un avertissement dans sa méthode que peu ont réellement entendu :
« Je déclare dès lors que l’onirocrite doit être bien équipé de son propre fond et se servir de sa propre jugeote et ne pas s’en tenir aux livres, car quiconque estime devoir être parfait onirocrite par l’art seul sans l’habileté naturelle restera imparfait… »
Par l’art seul mis en opposition à l’habilité naturelle, l’auteur faisait référence aux suites interminables de symboles expliqués dans les traités, les dictionnaires et les clés des rêves. Pour Artémidore qui, soit dit en passant, a donné de la substance aux rêves pendant plus de 18 siècles maintenant, on ne peut pas interpréter un rêve singulier en se référant abruptement à un corpus préétabli sans son propre fond, sans habileté naturelle. Cette dernière consistera pour quiconque souhaite persister dans l’interprétation des rêves à s’intéresser de près au sujet (celui qui pense, celui qui rêve). Il faudra être de sa culture, de sa propre langue et idéalement de sa propre famille pour bien le comprendre et l’entendre. Mais celui qui comprendra tout en partie le contexte du rêve, le meilleur interprète est encore le sujet lui-même. Celui qui pense dans son for intérieur, celui qui se réveille avec les rêves en tête. Il faudra s’approprier son propre fond, sa propre jugeote.
Mais laissons là les sujets d’interprétation pour examiner un potentiel négligé du rêve. En qualité de sujet pensant, de sujet rêvant, je m’éveille au matin avec des paysages renouvelés. En rêve, j’expérimente, je découvre, je m’amuse aussi. Comprendre, assimiler certaines vérités que mon subconscient a pris le temps de décortiquer fait aussi parti des attributions du rêve. Si le monde sensible, celui de la matière, de notre réalité éveillée est finie (au sens qu’on peut le mesurer, en déterminer les fins, les contours, les limites), si la réalité est soumise aux lois de la physique et à celle des hommes, il faut bien le reconnaître et s’y soustraire, les espaces superposés des rêves sont parfaitement affranchis de toutes ces contraintes. En rêve, je vis l’expérience de la liberté la plus pure et la plus parfaite.
C’est de ce sentiment renforcé que je me lève chaque matin. Non pas avec le désir d’interpréter mes rêves. Je les assimile autrement. Oui ! Je me lève au matin fort de nouvelles expériences. Expériences assimilées consciemment à ma personnalité. J’ose croire que cela améliore l’homme que j’aspire à être. Un homme dévoué à l’amélioration esthétique, philosophique et naturelle du monde du vivant, celui qui permet toutes manifestations.