Somnio, sum

Somnio, sum : je rêve, je suis.

« On a que peu de reconnaissance pour un maître quand on reste toujours élève. »
Le dernier enseignement de Freddrich Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra.

À moins d’être un tyran, un homme aura peu d’emprise sur ses semblables. En effet, loin d’être tout puissant, a contrario de certains messages publicitaires fallacieux, la gouvernance que nous avons sur le monde qui nous entoure est somme toute plutôt limitée. Que serait un monde où chaque individu s’incarnerait en tyran sur ses semblables ? Que serait notre univers si nous possédions tous le pouvoir d’agir à notre gré sur la matière ? Notre emprise sur le monde qui nous entoure est limitée et c’est finalement tant mieux !

Personne ne commande les éléments. Les superhéros défiant la gravité n’existent que dans l’expression de nos fantasmes. Nous ne sommes que de bons représentants de l’espèce homo sapiens ! Voilà ! C’est déjà beaucoup lorsque nous prenons conscience de la pression que nous exerçons collectivement… sur le monde qui nous entoure. Nous nous sommes rendus maîtres de la nature. Une belle illusion de civilisation qui nous réduit à l’esclavage contre les intempérances des mers, de la terre, des vents et du feu lorsqu’elles se réveillent.

En tant qu’individus, nous naissons bien démunis. Enfant, les possibilités sont en puissance illimitées. Nous rêvons éveillés ! Nous jouons et apercevons les illusions de nos amusements. Mais notre lente appropriation des codes qui font de nous des êtres civilisés court-circuite toutes pensées de cet ordre, toute pensée que l’on pourrait qualifier d’irrationnelle. Notre réalité se réduirait donc à une part aigüe de possibilités qui nous sont inconsciemment connues. Je ne saurai changer l’axe de rotation de la Terre, mais je peux traverser librement la rue en face de moi. Je ne saurai outrepasser les lois de la physique, mais j’en ai cure lorsque je rêve que je m’envole ou que je nage sans assistance respiratoire.

Si je ne suis pas maître de la nature ni du monde qui m’entoure, que me reste-t-il comme espace de liberté ? Suis-je maître de quoi que ce soit ? Cogito, ergo sum, je pense, donc je suis, disait Descartes. Notre conscience est probablement notre plus large terrain de jeu en ce qui concerne notre liberté, avec celui des rêves. Ego sum, ego existo, je suis, j’existe écrira-t-il plus tard dans une une de ses œuvres phares : les Méditations métaphysiques. J’ajouterai très personnellement : Somnio, sum. Je rêve, je suis. Un esprit bien construit est une forteresse. Encore faut-il travailler à sa construction. Tout temps passé à donner son attention aux futilités de la vie repousse cette belle construction à l’horizon d’une vie pleine de possibilités. Force est de constater que de nombreuses forces concourent sans en avoir conscience à nous en éloigner : labeur vide de sens, déplacement sans fin, téléphone hypnotiseur… j’en passe. Nous ne faisons par ailleurs pas toujours de choix rationnels. Dans une société de la consommation exacerbée qui exploite nos faiblesses cognitives au profit de notre attention à de seules fins mercantiles, le constat est cuisant. Je laisse penser autrui, probablement une intelligence artificielle, pour me faire croire que j’existe à travers des images digitales, des achats compulsifs et l’ennui qui en découle. Machina cogitat, ergo sum. La machine pense, donc je suis. Paradoxalement, je préfèrerais que vous abandonniez la lecture de cet article et que vous alliez rêver de votre monde meilleur dans le bastion de votre conscience plutôt que je retienne votre attention. Allez exister pleinement en allant réfléchir, méditer loin de tous ces écrans qui vous gardent bien de vous élever au-dessus de vous-même, car on ne peut être maître que d’une seule chose : de soi-même.

Il reste encore un terrain de liberté où notre esprit peut s’approprier toute sa force. Il s’agit de notre capacité à agir sur la matière, de la transformer pour le beau et le bien avec un peu de philosophie. En d’autres mots : notre créativité. On veut donner du sens à sa vie. Donner exige en l’occurrence de se mettre symboliquement en mouvement. Car il n’y a pas de sens s’il n’y a pas d’énergie à consacrer au changement. Ne croyez pas que la chenille se repose à l’intérieur de sa chrysalide. C’est tout un monde qui se bouleverse sous le voile pudique de son cocon. Chenille ! Allez créer vos ailes !