Première étape alchimique

Ou comment l’œuvre renforce l’esprit et vice-versa.

(Je prends l’art pour appui, mais la démarche que je propose est vraie pour ceux qui, dans leur vie active transforment, modifient, font évoluer la matière, les idées, les hommes et les femmes qui nous complètent et nous ressemblent.)

L’art moderne pose de moins en moins la question de la technique. On fait les choses vite ! Peut-être parce que les techniques se sont largement démocratisées, mais ce ne serait là qu’un point de vue chargé de biais. Biais dont mon esprit tout aussi artistique que scientifique tente tant bien que mal de se décharger. On ne saurait néanmoins ne pas reconnaitre la rupture consacrée avec l’art classique. En parallèle, avec les sociétés de la tradition et celle de la modernité. À cet égard, il convient aujourd’hui de donner du pouvoir à cette tyrannie de la créativité, de l’innovation, de la réinterprétation quitte à négliger la pérennité de l’œuvre. Je pense particulièrement à la banane scotchée sur un mur et achetée 120 000 dollars à la foire d’art contemporain Art Basel de Miami. Il voulait vendre un concept plus qu’une œuvre dont il ne reste plus que des fragments de carbone à la mer. Peut-être que le scotch utilisé n’était pas biodégradable. Auquel cas, il reste probablement des fragments dans une décharge de Floride.

Cet exemple interpelle ! Il choque même le grand public. C’est probablement une des volontés de l’artiste. Soit ! Je ne saurais m’inscrire dans ce genre de démarche, ne serait-ce qu’étiquettent. Or, sans approfondir ce genre d’exemple extrême, force est de constater que l’artiste moderne se pose moins la question du support, entre autres, qui doit recevoir son œuvre. Que dire de ses médiums qui permettent l’alchimie de l’art ?

Évidemment, je ne saurais parler pour tous. A contrario, je ne suis ni le chantre de Raphaël ni le détracteur de Maurizio Cattelan. En ce qui me concerne, j’attache un soin plus que particulier à la toile de lin brute que je sélectionne en la touchant, en la respirant. Je fais chaque fois l’étonnement de mon marchand de tissus qui me félicite pour la couleur de la toile ! En ce qui concerne mes pigments, ils sont choisis pour leur éclat, bien sûr. Cependant, cela ne suffit pas. Parlez-en d’outre-tombe avec Van Gogh. Il vous répondra que peut-être il ne savait pas, mais que surtout sa pauvreté l’empêchait de se procurer des pigments de meilleure qualité. Histoire à suivre quant au blanchiment de certaines de ses œuvres qui s’accélère depuis quelques années…

Les gestes du peintre ont aussi leurs importances. (Pour tous ceux qui encadrent des équipes professionnelles, vous y trouverez aussi une belle métaphore.) Sans revenir sur la notion des beaux-arts « gras sur maigre » qui doit être connus de tous les débutants pour éviter des erreurs techniques flagrantes et irréversibles, une œuvre peinte à la vas-vite vieillie mal. La patience nécessaire entre chaque couche (pour faire changer les mentalités au sein d’une équipe, pour le mieux évidemment) permet d’approfondir la réflexion : celui du message par le truchement des symboles véhiculés.

La matière et l’artiste se renforcent mutuellement. Certains observateurs diront que les œuvres classiques, malgré qu’elles aient été restaurées au fil des siècles, ont perdu aussi de leur éclat. Qu’elles se sont malgré tout fissurées ! Soit ! À ceux-là, je leur ferai observer l’état, ou l’absence d’état dans lequel ces œuvres seraient ou ne seraient tout simplement plus aujourd’hui. Quelques fragments de carbone entre Paris, Florence et Rome. Si nos maîtres n’avaient pas tout mis en œuvre pour la bonne conservation de la matière qu’ils ont su transformer, s’ils n’avaient pas anticipé les restaurations inévitables, Mona Lisa nous serait inconnue quelque 500 ans plus tard maintenant. La voute de la chapelle Sixtine serait blanchie par la lumière.

Transformer la matière, les esprits pour ceux et celles qui sont en charge de l’éducation et de l’enseignement, est une charge dont on se saurait se défausser en la faisant à la vas-vite. Ressentez la matière ! Faites-là vibrer. Et dans le creuset de votre sensibilité, transformez-là, transformez-les en Or.