Réaliste… ou pas !
Dans une lettre ouverte de « Courrier du dimanche », Gustave Courbet écrit : « Un artiste doit mettre ses facultés personnelles au service des idées et des événements de la période dans laquelle il vit. » Cette citation date de 1861. À la même époque, Daumier dit « qu’il faut être de son temps ! » Daumier, Courbet, Millet, trois réalistes qui ont peint leur temps, leur époque et, aujourd’hui, nous nous souvenons d’eux. En additionnant A + B, on pourrait déduire le secret de l’immortalité dans l’art : savoir parler de son temps en homme ou en femme de son époque. Par les temps qui courent (bis), on aime ce genre de simplification.
En art, on est tantôt observateur, tantôt pourvoyeur. En bon observateur, je sais apprécier les œuvres des réalistes qui désignent le groupe d’artistes émergeant au milieu du XIXe siècle et qui ont préféré l’observation et la restitution du quotidien et des scènes qui n’avaient plus à voir avec l’excellence aristocratique ou toutes ces sortes de choses. Plus d’un siècle et demi nous sépare d’eux, de leur peuple criant leur espoir de jours meilleurs, des glaneuses de grains, des mineurs qui n’avaient jamais jusque là été représentés à travers la matière sensible et les pigments. Que faudrait-il représenter en 2024 pour embrasser le pas de ces illustres prédécesseurs ? On ne casse plus de pierre, du moins, on a largement mécanisé l’acte dans nos sociétés industrialisées et pour le reste, la bonne pensée nous commande de ne pas en parler trop ouvertement. On ne glane plus du grain dans les champs des agriculteurs en occident. Au mieux, on s’intéresse au cours du grain sur les grandes plateformes de « trade », d’« exchange ». Le charbon n’est plus le combustible à la mode, à moins qu’on en ait un peu trop en stock. Alors, on le brûle en cachette. Peindre en réaliste en 2024, c’est peindre l’externalisation, le non-dit, la bien-pensance, bref, c’est peindre en blanc sur une toile blanche. Une toile blanche avec de fines lignes blanches pour reprendre l’idée à l’œuvre de Yasmina Reza dans sa pièce de théâtre de 1995 toujours d’actualité : « Art ». Je vous recommande cette pièce qui parle de l’art contemporain, de son malaise, mais aussi de l’amitié.
Je ne prétends pas être un homme de mon temps. Mon attention est attirée autre part. Cela fait en outre 22 ans que je n’ai pas regardé un quelconque téléjournal. Pourtant, suis-je pour autant ignorant de ce qui se passe dans le monde qui m’entoure ? Que nenni ! Vous vous occupez tellement des événements et de parler du monde que votre actualité, constamment renouvelée, arrive à mes oreilles. Derechef, suis-je un homme de mon temps ? Non, pour autant, puis-je prétendre connaitre les hommes et les femmes de mon temps ? Oui ! Je l’affirme. Les hommes et les femmes de mon temps, pour nombre d’eux eux, charge la reconnaissance, la popularité, du moins la réussite et préférablement, la réussite sociale. En ce qui me concerne, je ne cherche pas à être un artiste « populaire » au sens étymologique. Si d’un heureux hasard tu es arrivé jusque là, mon très cher lecteur, ou ma très chère lectrice, c’est peut-être que toi aussi tu n’es pas tout à fait de ton temps. Félicitations !
Suis-je nostalgique du temps d’avant ou peindre des semeurs où les rues haussmanniennes de Paris revêtait à la fois le geste de l’artiste de son temps et le bon goût qui y était associé ? Passéiste ? Non ! Suis-je alors « futuriste » comme ceux du début du XXe siècle qui affirmaient dans leur manifeste « qu’une automobile rugissante […] est plus belle que la « Victoire de Samothrace » ? Évidemment non ! Je me qualifierais plutôt de pseudo présentiste qui sait d’où il vient et qui agit pour son futur comme s’il était déjà advenu. Pour vivre heureux, répéterais-je à satiété, il faut savoir s’affranchir du temps, dans son temps et à l’extérieur à la fois.