Qu'est-ce que l'amour ?
Voilà bien une question qui taraude les esprits des êtres humains depuis des millénaires. Si les poètes, les philosophes et tant d’autres ont tenté d’esquisser une réponse, nous nous la posons tous un jour ou l’autre. L’amour est comme le temps. Difficile d’y donner une définition. Pourtant on est gagné autant par le temps que par celui de l’amour. Mais pourquoi donc vouloir tout définir ? Qui plus est, circonscrire en mots l’amour n’aurait-il pas pour effet de lui retirer sa force ? Je ne le crois pas et, par ailleurs, me sachant, nous sachant tous guidés par une force invisible, ne serait-il pas judicieux d’en connaitre la source afin de la mieux guider ? C’est ce que je crois. Qui plus est, mes recherches dans l’inconscient m’ont apporté une tentative de réponse. Cette tentative passe par Platon et Spinoza, deux grands philosophes qui se sont intéressés à l’amour. Mais comme vous pourrez le constater dans cette coute démonstration, leurs réponses ne semblent pas satisfaisantes en toutes circonstances. Démonstration, donc…
Il y a déjà à peu près 2400 ans, Platon nous livrait les pensées de Socrate dans Le banquet. Dans ce discours, on parle de l’amour. C’est d’ailleurs le thème principal. On y trouve les interprétations courantes; celle de l’amour-passion, de l’amour que l’on porte à un enfant… Mais Socrate, qui donne son interprétation en dernier, vient jeter un pavé dans la mare. N’annonce-t-il pas au genre humain que l’amour, bien si précieux, n’est en vérité que la manifestation du manque ? L’amour, c’est le manque ! L’amour comme manque, qu’est-ce à dire ? En réalité, c’est très simple. Platon nous disait que tant qu’il y a manque, il y a amour. Qu’à partir du moment où la satisfaction se réalise, l’amour disparait ! Jusqu’à un certain point, on peut lui donner raison. Prenons l’exemple le plus fort, celui du manque de la personne aimée. L’amour nous submerge jusqu’à ce qu’il soit fait ! Dès lors, dans cet état de plénitude corporel, nous ne sommes plus guidés par l’amour, mais par la réalisation. Prenons un exemple moins puissant maintenant. Vous rêvez d’acheter tel ou tel bien de consommation. À un certain moment vous vous dites même que ça changerait votre vie. Vous aimez votre manque par envie de le posséder. Le jour vient où cet objet en particulier est déposé au sein de votre porte en échange d’une signature par le facteur. Ouvrir la boite est toujours un moment d’agitation. L’amour de ce bien se réalise. Inconsciemment, sa possession s’installe. Votre vie n’en est pas vraiment changée, mais ça, vous ne vous le rappelez pas ! C’est un peu comme les enfants qui se lassent de leurs cadeaux de Noël dès le 26 décembre. Et pourtant, l’amour des cadeaux bien emballés était si grand.
Alors, que nous dit Platon dans Le Banquet ? Que dès que l’amour est satisfait, il n’est plus. On pourra donner raison à cette équation, mais ne la classons pas parmi les constantes universelles trop rapidement. En effet, comment expliquer l’amour indéfectible d’un parent pour son enfant ? Que dire des amitiés ou des couples qui durent toute une vie ? Ceux-là démontrent bien que le manque ne fait pas tout l’amour. Spinoza n’est pas d’accord avec Platon. Il le démontre assez bien. Néanmoins, à mon humble avis, la réponse de Spinoza n’est pas encore complète. Mais voyons d’abord ce qu’il a à dire…
Soyez dans la joie, aurait probablement dit Spinoza (1632-1677). Dans une phrase qu’il emprunte à Aristote, disciple dissident de Platon, le philosophe du 17e siècle nous dit : « aimer, c’est se réjouir ! » Aimer, c’est donc se réjouir de ce qui est à notre portée. C’est la joie que procure la simple présence de l’être « aimé » même en l’absence de désir. On voit tout de suite que cette réjouissance nécessite un certain dépassement de soi. En effet, dans l’amour comme manque, dès que la cause extérieure s’en est allée, tout disparait. Dans l’amour réjouissant, c’est à partir du moment où les forces du désir s’évanouissent que l’on peut réellement discerner les causes du bonheur transformées en joie… en amour. Le discernement ! Il faut donc faire preuve de lucidité selon Spinoza pour savoir ou du moins apprendre à aimer. Car un travail sur soi est bel et bien attendu. Il ne suffit plus de s’en remettre aux causes extérieures. Il ne suffit plus de se laisser porter par l’absence du désir et de s’égarer dans les méandres de l’ennui comme aurait pu le dire Schopenhauer. L’amour devient donc une réelle activité de l’esprit. Soit ! Mais nous ne sommes pas tous encore d’âge mûr et en pleine possession de nos moyens. Pourtant, on peut donc supposer que l’amour est à la portée du plus grand nombre et qu’elle n’est pas tout à fait que le produit de l’activité de l’esprit. D’ailleurs, l’amour fait parfois souffrir. La souffrance n’apporte que très rarement la joie.
Pour donner plus de sens au récit de l’amour, il faudrait donc naviguer entre Platon et Spinoza en fonction des moments et du temps. Encore là, leurs propositions respectives ne semblent pas couvrir tout le spectre de l’amour.
La réponse de Spinoza est belle et séduisante. D’ailleurs, je crois sincèrement qu’elle peut mener à la vie bonne, c’est-à-dire à une vie réussie au sens moral et affectif. Mais, j’ajouterai à cette thèse une dimension qui réconciliera l’idée de Platon et celle de Sipnosa en les dépassant toutes deux. L’amour, qu’est-ce donc alors ? L’amour, dirai-je : c’est le désir de voir se manifester ce que l’on a déposé dans le cœur de l’autre. On retrouve la notion de désir; un désir de manifestation. Qu’est-ce encore là à dire ? Prenons un exemple simple. J’aime mes enfants. Tout parent espère d’ailleurs qu’il en va de même pour tous. On pourrait croire que ce type d’amour est gratuit. À première vue, il l’est. Mais quand on se plonge dans les arrières-mondes de l’amour, les causes sous-jacentes nous renseignent du prix, même de celui qu’un parent porte à son enfant. Donner la vie, c’est donner une part de soi. On pourrait se dire que de là vient l’amour que l’on porte à ses enfants. Où est donc ce soi-disant désir de manifestation, en ce sens ? Inconsciemment, on souhaite que nos enfants grandissent, mais pas trop vite ! Inconsciemment, on leur souhaite le mieux et que, si possible, ils fassent encore mieux que nous. On souhaite voir se manifester la part de nous en eux. Voilà ! C’est tout à fait inconscient, mais c’est bien réel. Aimer nos enfants, c’est souhaiter le mieux pour eux et que se mieux se réalise ; qu’il se manifeste, donc. Reprenons toute la définition : l’amour, c’est le désir de voir se manifester ce que l’on a déposé dans le cœur de l’autre.
En ce qui concerne nos enfants, ce dépôt est biologique et culturel. On ne le maîtrise pas tout à fait. Lorsqu’il s’agit d’apprendre à aimer, c’est différent. D’ailleurs, on pourra regretter a posteriori de ne pas avoir mieux aimé, de ne pas avoir tout simplement su ou connut les clés. Mais, il faut apprendre. En ce sens, je rejoins Spinoza. Il n’en demeure pas moins que l’amour demeure un désir. Pas tout à fait comme le disait Platon, mais c’est un désir qu’il convient même de savoir entretenir.
Je propose un cas limite afin de conclure cette démonstration. Un cas où l’amour est souffrance et qu’il demeure amour pour autant. Il est possible de désirer un signe d’une personne que l’on aime. Cette personne peut pour des raisons très variées être absente. Il n’y aurait donc de désir platonicien que dans l’espoir de voir revenir cette personne. Mais ce n’est pas là le cas limite. J’entendrai par absence plutôt l’indifférence. Une personne peut tout à fait aimer une autre qui est indifférente à elle. L’amour sera bien en ce sens l’espoir d’une manifestation de l’autre. L’amour est donc aussi une réalisation. L’Amour comme réalisation ! L’amour comme réalisation de ce qui a priori n’avait pas de sens ni de forme. Le nous ! L’amour est donc aussi un liant, une force invisible qui se manifeste dans des gestes et des mots. L’amour a aussi ses maux. L’amour est aussi le baume en lui-même.