Méthode paranoïque-critique

Les symboles sont partout. On les retrouve chez soi sur les objets de consommations que nous accumulons. Ils s’immiscent dans tous les moyens qu’utilisent les grandes marques pour percer notre intimité enregistrée à grand fracas silencieuse de data. Les symboles ne sont pas que les marques, les logos qui font désormais partie de la culture populaire, c’est aussi tous les éléments qui nous permettent de bien user des services qui nous sont proposés : signalisation routière, alignement des boutons dans un ascenseur, ergonomie d’une application web… Tous ces symboles ont été réfléchis afin que nous n’ayons plus ou presque pas de question à nous poser quant à leur utilisation. Dans le tumulte de la circulation périphérique d’une métropole de plusieurs millions d’habitants, vous ne comptez pas que des utilisateurs réguliers. Dans cette perspective, ceux qui n’y sont pas familiers doivent au mieux pouvoir anticiper leur entrée et leur sortie sans causer de ralentissement. Ce n’est qu’un exemple particulier. Il démontre tout de même bien toute l’ingénierie du symbole qui doit être pensé au préalable. L’utilisateur du symbole n’a même pas à y songer. D’ailleurs, la plupart d’entre eux sont pris pour acquis et l’utilisateur lambda ne sait pas non plus d’où ils proviennent. Il en use tout simplement.

Lorsqu’il est confronté à une nouvelle problématique, le bon designer doit chercher le bon symbole parmi tout ce qui est connu ou reconnu par le public cible. Le bon designer n’est pas celui qui casse les codes. Il est celui qui saura infléchir une idée proche pour lui donner un nouveau sens. Il puise dans la culture un symbole déjà cultivé. Il arrache au monde de l’inconscient une idée claire et précise qui à la lumière du public sera facilement identifiable. La confusion entre art et design provient de sa filiation. Le design puise dans l’art. En quelque sorte, l’art est sa mère. Le design est sa fille ; un enfant dépouillé du superflu. En ce sens, on peut bien affirmer que l’art est à l’inconscient ce que le design est au conscient. Tentons donc de renforcer cette analogie en reprenant les concepts de la psychanalyse chez Freud, puis chez Lacan.

Les philosophes du soupçon ont compris que la réalité sensible n’est qu’une partie émergée. On peut se figurer l’iceberg qui ne pointe à la surface qu’une toute petite fraction de sa masse. Ce qu’un individu est, ce qu’il affiche, ce qu’il démontre au quotidien sont le résultat d’une multitude complexe d’interactions entre son éducation, sa culture, sa vie psychique… ses rêves inavoués… ses actes manqués… Son inconscient est le creuset où toutes ses forces se mélangent. Il ne vient à sa conscience que les produits finis de son inconscience. À titre particulier, on pourrait aussi penser à l’activité créatrice qui se base sur un souvenir ou un rêve. En se réveillant, le sujet retient encore les formes de son idée, mais à mesure que le temps passe, s’il n’a pas tout noté dès son réveil, les liens unissant ses formes se disloquent pour ne laisser qu’une vague impression d’idée géniale. Sur cette impression, Dali a par ailleurs développé ce qu’il a nommé la méthode paranoïaque-critique qui sans s’étendre sur le sujet consistait à coucher sur un support sensible, les impressions rémanentes des rêves éveillés ou pas afin d’en créer une œuvre dite surréaliste. Le peintre espagnol tentait de traduire les hallucinations oniriques pour les extraire de son inconscience. Notons au passage que Dali s’intéressait de près à l’œuvre de Freud comme la plupart des surréalistes de son temps, notamment la figure emblématique d’André Breton. Or, prendre pour exemple le surréalisme pour expliquer le design pourrait être pris comme un contresens quand le design permet à l’humain, entre autres, de se fondre plus adéquatement dans un environnement plus accessible et plus épuré. Les œuvres surréalistes, particulièrement celle de Dali, ne s’inscrivent pas dans cette démarche d’épuration, tant s’en faut. Néanmoins, en adoptant un point de vue structurel, il surgira une structure fondamentale qui unie le mouvement surréaliste qui fait émerger de l’inconscient à la conscience le produit de son travail à la manière du design. Si le surréalisme s’ingénie à faire émerger des symboles coexistants, le design concourt à trouver le symbole le plus ajusté.

Comme dans la méthode psychanalytique, de designer possède des outils pour explorer le monde de l’art, celui de son inconscient. Le surréalisme, particulièrement la paranoïa-critique peut être considérée comme l’un de ces outils d’autant qu’on s’y exerce. Il s’agit de contempler un objet tant et aussi longtemps que le rêve éveillé ne fait pas surgir à la conscience les formes dont il procède. Il convient aussi de noter, gribouiller spontanément les agencements qui se présenteraient aussi à notre esprit. Avant d’en identifier « le symbole », celui qui cherche et qui veut trouver doit d’abord explorer les limites de la conscience. Bien qu’encore flous et à cet égard prisonniers de l’inconscient, les symboles surréalistes permettent un second travail, celui qui consiste à trouver le critère qui les unit tous. À partir de celui-ci, le symbole simplifié apparaitra comme évident. Il émergera !