Hallucinations et amnésies
À la manière dont l’expérience de pensée en science permet de réinterpréter l’observation du monde sensible, le rêve en s’affranchissant de toute loi physique permet une réinterprétation du réel, de ce qui est perçu.
Qu’est-ce à dire à travers trois différents points de vue ?
Hallucinations ! Confusions ! Pensées bizarres… illusions et amnésies ! Il ne s’agit pas là de la liste des symptômes d’un patient lourdement atteint d’un mal qui ronge son esprit. Bien au contraire, cette énumération de « bienfaits » pour votre cerveau survient toutes les nuits et, qui plus est, plusieurs fois. Personne n’échappe aux rêves. Qu’en bien même 95 % de toute l’activité onirique est oublié et que nombre d’entre nous ne se souviennent que de bribes, sinon rien, le rêve est une activité biologique essentielle d’un cerveau sain, même s’il déforme tout à fait la réalité.
Point de vue médical
Revenons-en rapidement aux hallucinations, aux confusions, aux pensées bizarres et aux amnésies issues du rêve. Votre cerveau, cet organe dynamique, sait rejouer les événements de votre réalité sensible. S’il en est ainsi, c’est entre autres pour vous soulager. Rejouer un événement difficile en rêve dans un environnement sécurisant permet à votre mémoire affective de se détacher progressivement (nuit après nuit) des émotions difficiles liées à ce qui est survenu. À titre d’exemple, le patient atteint de troubles du stress post-traumatique (TSPS) se réveille en sueur nuit après nuit en ayant la sensation d’avoir vécu de nouveau les événements à la source de son trouble. Le cerveau, par le truchement du rêve, travaille à dissocier la mémoire de l’événement d’avec les émotions difficiles qui y sont encore associées. Un patient guéri de ce trouble se souviendrait des événements sans qu’un flux émotionnel trop important vienne le submerger. Le temps guérit les blessures ? Oui, surtout le temps que l’on y passe à les revoir différemment en rêve ; en déformant les événements par les hallucinations, les confusions, les pensées bizarres qui modifient nuit après nuit la relation sentimentale qui lie la mémoire des événements aux sentiments imprégnés. (Voir les travaux conjoints de Walker et Raskind) Voilà un exemple particulier des bienfaits des hallucinations et des confusions oniriques. Mais je laisse aux chercheurs le soin d’approfondir le spectre de la recherche, car ce qui m’intéresse tout particulièrement, c’est la capacité combinatoire de l’hallucination, de la confusion, des pensées bizarres, des illusions qui se produisent en rêve pour les mettre à profit dans la créativité.
Point de vue traditionnel
Devrais-je rompre avec les traditions ancestrales qui voyaient dans le rêve et ses déformations la manifestation d’une entité radicalement différente : dieux, saints, démons… et cetera ? Nous sommes tous profondément libres de nos interprétations et celui ou celle qui souhaite y accorder du crédit est tout aussi libre d’y consacrer de l’énergie. Pour autant, ces récits sont fascinants. On peut retrouver chez Artémidore de Daldis des récits oniriques qui peuvent contribuer à l’esprit créatif. Alors, en bon rationaliste moderne, préservons-nous de jeter le bébé trop rapidement avec l’eau du bain.
Point de vue épistémologique
De grandes découvertes jalonnent l’histoire de l’humanité. Nombre d’entre elles sont issues d’expérience de pensée analogue à cet état de rêve éveillé. Ces grands penseurs ont fait appel à la capacité de leur cerveau à déformer, halluciner, produire des pensées bizarres qui ont défié l’observation. Galilée a tout d’abord expérimenté la loi de la chute des corps par une expérience de pensée. Einstein s’est vu dans un ascenseur défiant le vide astral pour penser son principe d’équivalence.
Point de vue artistique
En école d’art, on vous apprend d’abord à restituer par l’observation. Peins ce que tu vois et non ce que tu imagines, car l’imagination est trompeuse. Ce principe est imparable pour restituer la réalité, mais lorsqu’il convient d’en comprendre les arrières-mondes ou d’en inventer un nouveau face aux enjeux planétaires, il ne s’agit plus de dessiner le monde tel qu’il nous est représenté. Il faut l’halluciner, le déformer, le penser confusément afin de produire des idées neuves qui s’opposent radicalement à un modèle obsolète.