DLC ou DPC ?
En ouvrant un réfrigérateur, on inspecte parfois les paquets et leur date limite de consommation (DLC). Parfois, on soupire et on jette quelques euros (lire votre devise selon votre pays) à la poubelle par négligence ou parce qu’on est parti en voyage sans tout utiliser avant le départ. D’autre fois, on est soulagé le jour d’avant la DLC. On change alors soudainement l’idée de repas à venir afin de ne pas soupirer le lendemain faute de s’être soumis aux impératifs bactériologiques… trêve d’explication mal odorante ! On a tous un jour ou l’autre fait l’expérience de fossile vivant dans le réfrigérateur.
En alimentation, on respecte les DLC sous peine de crampes abdominales ou pire encore. C’est vrai pour la nourriture du corps. Est-ce aussi le cas pour la nourriture de l’esprit ? Mens sana in corpore sano. Un esprit sain dans un corps sain, peut-on extraire de la dixième satire de Juvénal (poète satirique romain, 55 à 128 de notre ère). Le corps grandit depuis la conception in utero (On espère que ce moment aura été plaisant pour les deux parents !) Jusqu’à son plein potentiel au croisement de la fin de la puberté et de « l’âge adulte » (Très variable d’un sujet à l’autre, du moins d’un point de vue de la maturité émotive !) Après cet instant de grâce, pris en équilibre entre la fleur éclatante de la jeunesse et le bouton flétri de la vieillesse, on se maintient, on se déforme puis… on rapetisse. N’eut égard aux chantres de l’éternelle jeunesse, le corps enfle ! Il se désenfle, jusqu’à son terme. Certains fossiliseront (On leur souhaite une belle éternité.) Mais pour la plupart ce sera un retour juste et parfait vers la poussière. Il en va ainsi pour le corps ! Est-ce aussi vrai pour l’esprit ? Tout dépend en fait du modèle adopté (Cf, la théorie de la vieillesse réussie.), de la chance dans la malchance à éviter les accidents de parcours, des inégalités biologiques et sociales (Non, nous ne naissons pas tous égaux !) et de notre capacité à se nourrir d’idées fraîches tout au long de sa vie.
Il n’y a pas de différences significatives biologiques entre homo sapiens et pan (Nos amis les chimpanzés et les bonobos. La différence génétique serait de l’ordre de 1,4 % [On serait aussi très proche biologiquement avec le cochon, mais c’est une autre histoire !]). À la loterie de l’évolution, l’espèce homo a tiré les bons numéros quelques fois les dernières dizaines de millions d’années. Quelques dizaines de millions d’années ne sont même pas considérables d’un point de vue de l’évolution, mais cela explique nos différences culturelles (Homo est beaucoup plus enclin que pan à dominer les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, le bétail, sur toute la terre et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. [Genèse, 1, 26]). Ces quelques adaptations culturelles ont complexifié les rapports en société. Rousseau affirmait dans son Discours sur l’origine de l’inégalité « qu’un pigeon mourrait de faim près d’un bassin rempli des meilleures viandes, et un chat sur des tas de fruits, ou de grain, quoique l’un et l’autre pût très bien se nourrir de l’aliment qu’il dédaigne, s’il s’était avisé d’en essayer ». Qu’est-ce à dire ? La liberté distinguerait homo de pan et des autres « animaux » à leur suite ! Plutôt, la conscience de la liberté permettrait à homo toutes sortes d’actions, même celles qui consistent à s’empoisonner. C’est vrai pour le corps : alcool, drogues, sucre, fumée, gras, sel, ainsi va la vie… petite patate, tant pis pour toi ! Que sera-t-il retrouvé dans les fossiles d’homo dans un, deux ou trois millions d’années ? Que pourrons-nous dire de notre si belle Culture dans mil ans ? Quels seront les fossiles de nos civilisations ?
Il y aurait donc des poisons pour l’esprit ! Or, il n’est pas politiquement correct d’en faire l’énumération sur la place publique, même dans un article satirique comme celui-ci. Qui plus est, cette énumération diviserait nécessairement et je préfère réunir ce qui est épars. D’ailleurs, vous servirez-vous de ces idées comme plat de résistance ou les brûlerez-vous en autodafé ? Certaines idées sont aussi cueillies trop tôt. Elles ont un goût amer et de fait, elles sont mal reçues (ou pas du tout). Nietzsche en a fait les frais. On ne le connait vraiment que depuis 30 ou 40 ans après sa mort. Schopenhauer a failli mourir dans l’ombre de son pessimisme. Van Gogh était de ces esprits aux idées et aux gestes de l’esprit pas assez murs pour son époque. En matière d’idée, il y aurait donc aussi des DLC, mais aussi des DCP : date prescrite de consommation.