De la créativité des anciens

L’art moderne se distingue fondamentalement de l’art classique par cette fuite en avant, cet impératif presque catégorique de refaire le monde, de recréer un univers unique, chaque fois inédit. Les anciens célébraient la tradition, celle de redonner corps à l’idéal du beau qui était inscrit dans quelques œuvres maîtresses. L’idée même de plagiat n’avait pas de sens en rapport à l’artisanat. En effet, pendant l’antiquité, les artisans, et les meilleurs, s’employaient à refaire les grands classiques de la poterie, de la mosaïque et de la peinture presque à l’identique. Il n’y avait pas encore de place à la réinterprétation qui aurait été perçue comme une trahison de la filiation séculaire, voire millénaire, des canons de beauté. Le plus grand bien était ce cosmos. Un univers philosophique où toute la matière s’ajustait parfaitement à l’ordre du monde. L’homme n’étant qu’un organe de cette matière.

L’exemple du Discobolos est révélateur. Il n’existe pas une statue d’un grand artiste. Au contraire, il en existe bien de très nombreuses qui ont été exécutés par un nombre considérable d’artisans soucieux de répéter les critères du beau, voire du parfait dans ce geste athlétique qui concentre la puissance aristocratique du meilleur des hommes selon les Grecs.

On serait tenté de croire à une plus grande liberté des artisans du moyen-âge, du moins occidental. Pour autant, l’idée de représenter le plus grand bien ne cesse d’agiter les pinceaux, les ciseaux et les maillets à dégrossir des bâtisseurs de cathédrales. En effet, il s’agit d’une période où l’art sacré mobilise presque toutes les énergies des artisans. Le philosophe Emmanuel Kant, dans sa critique de la faculté de juger de 1790, est l’un des premiers à dire que ce qui est beau ne réside pas nécessairement dans ce qui s’ajuste à l’ordre du monde, mais bien ce qui plait à la subjectivité individuelle.