Clé des songes

La nuit donne lieu au monde des rêves. C’est un moment privilégié avec sa propre intimité. Dans l’espace discret des songes, on revit certains moments des jours précédents, on espère la rencontre d’une charmante personne, on se projette vers un avenir à construire… Le rêve est d’abord un événement pour soi. En plus de tenter de régulariser ses émotions mises à mal pendant les périodes journalières (effet que l’on doit plus particulièrement attribuer au sommeille NREM, néanmoins), le rêve permet la superposition symbolique que notre esprit rationnel tente obstinément de refouler le jour.

La nuit, le rêveur passe une frontière. Ce monde constamment réinventé, cet empire de la plus pure et parfaite liberté ne doit pas être négligé. Alors que trop souvent nous tentons de nous enrichir par le travail, nous négligeons nos heures de sommeil. Le travail devient tripalium, cet instrument de torture du moyen-âge d’où tiens sa racine étymologique l’ensemble des activités humaines appliquées à la production, à la création de quelque chose… bref… le travail ! À la manière de ces esclaves qui, se libérant de leurs chaînes en s’enfuyant dans une contrée sauvage pour jouir de la liberté, la nuit nous offre ces grands espaces vierges. Or, trop souvent, nous préférons ne pas profiter de ce qui nous est donné à titre gratuit, c’est-à-dire nos rêves, cet exutoire d’une puissance chimique plus redoutable que le plus puissant des psychotropes.

Je connais malheureusement trop de personnes de très bonne volonté qui négligent, nuit après nuit, leur sommeil. Ils prétextent presque tous un temps perdu à dormir. Je ne suis pas de ceux qui tentent en vain de convaincre des convaincus. Alors, je ne parlerais donc pas pour eux. Chers lecteurs qui savez déjà combien l’espace du rêve est l’opportunité de mener plusieurs vies à la fois, gardons ces secrets pour nous. Oui ! Ne disons surtout pas que la clé des songes permet une amélioration significative de ce monde franchissable de notre conscience. Nous garderons ce secret pour nous. Et à ceux qui s’obstinent à peu dormir pour s’épuiser toujours plus et à petit feu dans l’illusion de la réalité, nous ne leur dirons pas qu’à l’exercice répété du déchiffrement des rêves, une conscience nouvelle émerge. Cette conscience permet de jeter un œil de plus en plus attentif sur l’inconscience. Dans ce monde intime, nous y trouvons loisir, détente, enseignement, réponses pragmatiques et inspiration.

L’inconscience renforce notre conscience. Elle nous tire paradoxalement hors de bien des mythes modernes liés à la performance et qui nous aveuglent, qui nous font vivre une vie la tête dans les nuages. Car prendre conscience de son inconscience par le truchement des rêves est probablement l’une des techniques d’éveil les plus puissantes.