Autant n’emporte le temps
Dès que l’on achève une composition, on réalise une inversion spirituelle chaque fois stupéfiante. L’étonnement fait place à la curiosité de créer. C’est un moment de grâce qui arrive de loin en loin. Mais la création est une tyrannie. Elle est librement consentie, une servitude volontaire comme l’aurait dit La Boétie, mais tout de même totalitaire. Lorsque l’on croit s’être approché du chef-d’œuvre, on voit qu’il faut marcher encore vers l’objectif que l’on poursuit et l’on est condamné à ne jamais connaître le repos. Cependant, aspirerais-je au repos ? Non ! Bien évidemment. L’œuvre est longue et belle, et c’est en définitive le chemin que l’on doit apprécier et non pas le résultat.
Le moment créatif est en outre non linéaire. On peut passer à côté d’une esquisse posée lestement sur le plancher de l’atelier et cela pendant des semaines, voire des mois. Soudainement, comme une épiphanie vient un trait de lumière. L’idée nouvelle survient avec la force de l’éclair. L’éclair, aussi brillant soit-il, n’est qu’une étincelle. Il faut encore la nourrir, la protéger contre les vents contraires du doute. La création, dans toute sa splendeur, est un combat contre soi-même, un dialogue constant entre des émotions contraires. Chaque coup de pinceau, chaque mot écrit ou chaque note jouée est une tentative de capturer l’insaisissable, de figer dans le temps une idée qui ne cesse de se transformer.
Puis, il y a l’oubli. Cette esquisse que l’on redécouvre après des mois, parfois des années, nous renvoie à ce que nous étions au moment de sa création. Elle nous parle d’une autre version de nous-mêmes, révolue, mais toujours présente. Ce dialogue avec le passé, ce retour aux sources, enrichit chaque nouvel effort. À chaque instant, l’artiste se réinvente, oscillant entre l’amour du processus et la fascination pour l’inaccessible. Nicolas de Staël, bien que parfois en présence de collectionneurs prêts à mettre le prix, hésitait à vendre ses œuvres. La suivante sera meilleure ! Cette attente lui aura couté la vie. Nicolas de Staël s’est donné la mort le 16 mars 1955 à l’âge de 41 ans.