Un défi d’abstraction
Me voilà pris entre deux forces contradictoires. D’un côté, il y a la pensée abstraite, qui cherche à remonter le cours de la rivière impétueuse des idées vers sa source originelle. Comme lorsque nous contemplons un coucher de soleil et que, soudain, une idée surgit : « Pourquoi le ciel est-il de cette couleur ? » Cette pensée abstraite explore sans limites, à la recherche de l’inconnu. De l’autre côté, il y a la pensée rationnelle, celle qui, à partir de ces idées, trace des chemins vers des conclusions vérifiées, comme un scientifique qui, face à ce même coucher de soleil, explique les longueurs d’onde de la lumière et leur interaction avec l’atmosphère.
Ainsi, la pensée abstraite pourrait être comparée au Big Bang, un moment d’expansion où tout est possible, tandis que la pensée rationnelle organise et donne du sens, comme la manière dont notre monde actuel est structuré.
Nous faisons tous l’expérience de la pensée abstraite. Imaginez-vous, une nuit, rêvant d’un monde étrange, où les lois de la gravité sont inversées. Ce rêve, vous l’oubliez presque dès votre réveil, mais l’émotion qu’il a suscitée reste gravée en vous, comme une vague sensation. Parfois, vous parvenez à retrouver quelques fragments de ce rêve, mais jamais dans sa forme initiale. C’est ainsi que fonctionne l’abstraction : elle est là, diffuse, insaisissable.
Je souhaite donc confronter l’abstraction à la rationalité. Vous conviendrez que cela, en soi, est déjà une forme d’abstraction. C’est un peu comme essayer de capter l’eau dans ses mains : difficile d’en garder chaque goutte. Pourtant, je veux apprendre à « nager » dans ces eaux tourbillonnantes, à m’arrêter sur certains moments de réflexion, comme un nageur qui lutte contre le courant pour observer ce qui l’entoure. Mon objectif est de ralentir l’abstraction, de l’extraire petit à petit, et peut-être, arriver à comprendre de quoi il s’agit vraiment.
Prenons un exemple concret : imaginez que vous êtes face à une œuvre d’art moderne. À première vue, elle vous semble chaotique, presque incompréhensible. Vous y voyez des formes, des couleurs, mais sans pouvoir les expliquer. C’est de l’abstraction. Puis, peu à peu, à mesure que vous contemplez l’œuvre, vous commencez à y discerner une logique : peut-être une émotion, une histoire cachée. C’est là que la rationalité commence à intervenir.
Rendre une pensée abstraite claire pour soi est déjà un défi. La rendre limpide pour autrui, l’exprimer avec des mots clairs est un véritable labeur. C’est comme expliquer à quelqu’un la saveur d’un mets qu’il n’a jamais goûté : il faut trouver les bons termes, les bonnes comparaisons, pour évoquer cette sensation unique.
Quant à ma méthode, j’ai tendance à utiliser l’écriture automatique. C’est-à-dire que j’écris de manière compulsive, laissant mes idées couler sans les contrôler, jusqu’à ce que l’épuisement arrive. Le texte qui suit, intitulé « Qu’il est irrationnel que de ne faire preuve que de rationalité ! », est justement issu de cette méthode. (Je vous proposerai dès demain ce texte. Donc patience pour ceux qui sont intéressés par la démarche !) Il s’agit d’une première ébauche, brute, comme une esquisse non finie. Je vous invite donc à l’accueillir comme une abstraction, le Big Bang d’une idée en devenir.
Prenons un dernier exemple pour illustrer mon idée : imaginez que vous construisez une maison. La rationalité vous dit comment poser les briques, mesurer les murs, choisir les matériaux. Mais l’abstraction, elle, intervient dès le début, dans l’idée même de la maison. À quoi doit-elle ressembler ? Quelles émotions doit-elle évoquer chez ceux qui y entrent ? C’est cette tension entre le rationnel (le monde qui est déjà là) et l’abstrait (le monde que nous imaginons, à venir) que j’essaie d’explorer ici.
En somme, je vous propose de lire cette réflexion comme des nageurs dans une rivière agitée. Ne vous laissez pas emporter trop vite par l’un ou l’autre courant. Observez, plongez-vous dans les eaux de l’abstraction et de la rationalité, mais gardez toujours à l’esprit que ces courants, bien que différents, se rejoignent parfois pour former un flot unique de pensée. (À demain pour la suite de l’exercice abstractif ! )